Toulouse, Hôtel Ibis, quartier des Ponts-Jumeaux. Un gîte comme on en trouve partout. Chaleureux et sans prétention. Dans le hall d'entrée, un homme se cache sous son pull à capuche rouge. Son accent british et sa tasse de thé le trahissent assez vite.
C'est Malcolm Blackburn, vice-président de la ConIFA (Confederation of Independent Football Associations). Le Michel Platini de l'alternatif. Mais ce n’est pas sa seule casquette. Malcolm est aussi le manager de l’Île de Man. Lui et ses joueurs passent dans la « ville rose » pour affronter l’Occitanie en match amical. Nous sommes le 30 décembre 2014, à quelques heures du début de la rencontre.
« L'amitié. La passion. Et la compétition »
Malcolm Blackburn
La poignée de main est rude, mais le sourire est franc. Ça doit être ça, la fameuse hospitalité britannique. Les politesses passées, Malcolm, la cinquantaine, rentre dans le vif du sujet. Il est là pour raconter son bébé. La ConIFA. Un projet un peu fou. La réincarnation du football vintage. Le plaisir et la passion. La conception du foot tel qu’il l’aimait, qu’il l’aime et qu’il l’aimera.
Pour lui, la ConIFA, « c’est l'amitié. La compétition. Et la passion ». Il suffit de regarder la liste des pays adhérents à la ConIFA pour le comprendre : le Kurdistan côtoie les Roms ou la Laponie. Un tour du monde en 80 secondes. Et sans bouger de cette fameuse chaise en plastique blanc si chère à la chaîne d'hôtels d'Accor.
La ConIFA ne s'est pas construite en un jour. Pour parvenir à réunir neuf équipes venant des quatre coins du monde, il a fallu essuyer quelques échecs. L'idée est née en 2003 dans un pub à Bruxelles. Christian Michelis, Luc Misson (l'avocat de Jean-Marc Bosman), Thierry Marcadé et Jean-Luc Kit se réunissent autour d'une bière. Les quatre hommes discutent, échangent et finissent par accoucher en fin de soirée de la « N.F. – Board » (NFB). Le conseil des Nouvelles Fédérations, en version française, regroupe des pays, des populations et des minorités non reconnues par la FIFA. C'est le début d'un long chemin de croix.
En 2005 par exemple, la première édition de la Coupe du Monde des "apatrides" devait avoir lieu en République turque de Chypre du Nord. Pas la plus évidente des destinations. Et au final, la première Viva World Cup meurt avant d’avoir vu le jour, plombée par les tentatives de récupération politique du pays hôte.
Deuxième tentative un an plus tard. Toujours au même endroit… pour le même résultat. Un échec. Les organisateurs, passionnés mais pas butés, décident d’oublier la piste chypriote et délocalisent la compétition. En novembre 2006, direction le sud de la France. À Hyères exactement. Mais après la défection de la moitié des fédérations inscrites, faute de moyens et d’organisation, seules trois équipes se présentent dans le Var : la Laponie, Monaco et l'Occitanie. C'est peu mais ce n'est pas grave.
Les Lapons, emmenés par huit joueurs professionnels, remportent sans véritable opposition la compétition (21 – 1 en finale !) et deviennent les premiers champions de l’histoire de la NFB. Si le spectacle n’est pas au rendez-vous et que la compétition se déroule dans l’anonymat le plus total, l'essentiel est ailleurs. Le simple fait d'avoir réussi à exister est une victoire en soi.
Forts de ce succès, les quatre acolytes relancent une deuxième, une troisième et une quatrième édition de la Viva. La dernière en date s'est déroulée en 2012, au Kurdistan. Pour tous, il s'agit là de la compétition la plus aboutie. Le moment de gloire des quatre hommes à l'origine du projet. Neuf équipes se disputent le titre mondial en terre irakienne. Un exploit au vu de la situation géopolitique du Kurdistan et des problèmes qu’ils ont rencontrés quelques années auparavant.
Arrive 2014. C'est au tour de la Laponie d'accueillir la compétition. Mais encore une fois, la Viva World Cup ne verra pas le jour... Enfin si, mais sous un autre nom.
Les Incorruptibles dans l'espace Schengen
Installé dans la cour de l’hôtel, Malcolm marque une pause. Malgré le soleil qui réchauffe une partie de son dos, le thermomètre tutoie le zéro et un frisson le parcourt. Il se redresse sur sa chaise de camping. En terme de confort, on a fait mieux. Cet entracte est aussi une manière de marquer une rupture dans son récit. Car c'est à ce moment précis que lui, le natif de l'Île de Man, entre en scène.
Malcolm Blackburn, vice-président de la ConIFA, détaille les conditions d’accession à sa fédération
Comme toujours, son histoire débute par une rencontre. Alors qu’il s’est déjà rapproché de la sélection de l’île de Man, Malcolm fait la connaissance d’un homme au physique détonnant. Une véritable armoire suédoise répondant au nom de Per-Anders Blind.
L’idée de ce passionné de football n’a rien de révolutionnaire mais elle est évolutive. Il veut prendre la relève de la Viva World Cup pour aller encore plus loin dans son accessibilité. Plus d'équipes et toujours moins de barrières à l'entrée. En somme, faire du football le sport le plus fédérateur au monde, sans aucune distinction d’ordre politique ou géographique. L’espace Schengen du football international.
Per-Anders Blind réunit alors une bande d'Incorruptibles et crée la ConIFA. Malcolm, convaincu de la première heure, est de l’aventure en tant que vice-président. Et en 2014, la transition se fait. Fini la Viva World Cup. Place à la Coupe du Monde de la ConIFA. Per-Anders Blind réalise son rêve dès la première tentative. Une réussite qui est aussi celle de Malcolm, finaliste avec la sélection mannoise.
D’ailleurs, à l’évocation de ce souvenir, Malcolm affiche un large sourire. Un double triomphe qu’il raconte avec modestie.
J-10 avant le Mondial brésilien. L’officiel. Celui de la FIFA.
« Pour l’amour du jeu »
Per-Anders Blind
C'est le moment choisi par le Kevin Costner scandinave pour organiser sa Coupe du Monde. Ils ont enfin le droit à leur part du gateau. Parmi les douze équipes présentes à Östersund, l'Occitanie est là. Mais aussi le Darfour, l'Ossétie du Sud ou encore Zanzibar. Une semaine de compétition. Des rencontres en pagaille. Mais surtout plein d'histoires à raconter.
La première d'entre elles nous vient tout droit d'un pays où les joueurs s'entraînent pieds nus. Le Darfur United a réussi à financer le voyage d'une dizaine de joueurs, issus de camps de réfugiés tchadiens, vers la Suède. Tous ont le sourire jusqu'aux oreilles. Ils sont là pour le plaisir et ça se voit assez vite. D’ailleurs ce sont eux qui ouvrent le bal face à la Padanie (région du Nord de l'Italie).
Que la fête commence ! Le coup de sifflet retentit : Et de 1, 2, 3... 11, 12, 13... et finalement 20 à 0. Plus qu'une défaite pour les Darfouriens. Une véritable correction. Mais les onze joueurs sur le terrain n'en démordent pas. Leurs dents sont toujours de sortie et ils ne lâcheront jamais leur sourire du voyage. Car ici, la fameuse devise de Pierre de Coubertin est reine et même couronnée de verbes supplémentaires : l'important, c'est de participer, de partager, de s'amuser et même de se cultiver.
Abdelrazik Haroun Ibrahim, l’attaquant de pointe du Darfur United s’explique : « En arrivant en Suède, forcément, c’était une énorme surprise. De une : on n’a pas eu le temps de s’acclimater. Il faisait tellement froid. Je ne savais même pas qu’il pouvait faire aussi froid. Et de deux : avant ce jour-là, je n’avais jamais vu de pelouse. Alors jouer sur une surface inconnue… »
On en revient aux trois mots clefs de Malcolm. Amitié, compétition et passion. Les Darfouriens, dépassés par l’intensité des autres équipes, s’en remettent donc à l'amitié et la passion. À tel point que huit joueurs de l'équipe ont décidé de rester en Laponie suédoise. Aujourd’hui, ils sont réfugiés politiques. Ils ont fait leur demande de naturalisation. Et en attendant, Abdelrazik se met à rêver d’un destin à la Zlatan Ibrahimovic…
Au même moment, et à quelques milliers de kilomètres de là, le Brésil est en ébullition. Des manifestants s'indignent face aux dépenses excessives engendrées pas le Mondial. Michel Platini, le président de l’UEFA, tient à leur adresser un message : « Faites un effort pendant un mois. Calmez-vous ! »
« Pareil que Mussolini »
Quel que soit le niveau, le football est un projecteur. Au fur et à mesure que la ConIFA grandit, Per et Malcolm s'en rendent compte. Et qui dit lumière, dit forcément récupérations et dérapages. C'est comme ça. C’est inévitable. Si les Incorruptibles font de leur mieux pour faire de l'intégrité leur ligne conductrice, il est toujours compliqué de canaliser Al Capone.
Le premier exemple, c'est cette compétition en 2005 annulée en République turque de Chypre du Nord. Malcolm évoque des pressions : « Pas de menace, mais des lettres ... » Autre souvenir pour Didier Amiel, le sélectionneur de l'équipe d'Occitanie, et autre dérapage. C’était lors d'un match officiel de la Viva World Cup 2009 en Padanie : « J’étais sur le banc. Grosse rumeur d’un coup. Le match a été arrêté car Umberto Bossi (ndlr : président de la Ligue du Nord, un parti d'extrême droite) est rentré sur le terrain. Il est arrivé, il a salué le public et le match a repris. Comme si de rien n'était. On aurait dit un empereur romain. J'ai regardé le quatrième arbitre je lui ai dit : " Mais qu’est ce que c’est ? " Pareil que Mussolini. C’était horrible ».
Tout n'est jamais blanc. Tout n'est jamais noir non plus. La ConIFA est également un monde de nuances. Tout n’y est pas parfait mais les Incorruptibles font de leur mieux pour protéger leur bébé. Et puis en deux ans, on peut dire qu’il a sacrément bien changé. Tous les parents vous le diront et surtout Malcolm, papa dans la vraie vie : plus un enfant grandit, plus il devient difficile à gérer. « Au début, ce n'était qu'un pari. Mais aujourd'hui, plusieurs grosses entreprises s'intéressent à nous. Pour nous sponsoriser. Et pas que pour l'argent. Parce qu'ils veulent être associés à nos valeurs ». Intégrité, éthique et ouverture d'esprit : « Depuis le début, on veille les uns sur les autres pour rester humble. Nous étions et nous restons des bénévoles ». Des bénévoles qui aujourd'hui retransmettent leur match sur Internet et attirent de grandes multinationales. Tout de même…
Passez votre souris pour voir les pays participant à l’Euro
Les neuf régions et populations à participer au championnat d’Europe à Debrecen en juin prochain
Difficile de dire où va la ConIFA pour le moment. Un footballeur vous répondrait : « Vous savez, vous les journalistes, vous vous enflammez toujours trop vite. Mais nous, ce n'est pas notre cas. On n'en est pas encore là. On prend les matchs les uns après les autres ». Mais Malcolm a au moins l'honnêteté de dire qu'il n'en sait rien. Déjà une Coupe du Monde à leur actif et un Euro qui aura lieu cet été du 17 au 21 juin en Hongrie, à Debrecen. Tout ça en deux ans à peine… Tout va très vite pour eux. Mais Malcolm ne se met pas la pression.
« Avec les valeurs qui sont les nôtres, ça ne peut que bien se passer. Vous verrez… »